26 avr. 2012

Mon coeur en cage


La nuit était déjà tombée sur notre salon, le feu crépitait dans la cheminée, et nous vaquions à nos habituelles activités de début de soirée. Vous étiez confortablement installé sur le canapé, vous lisiez tout en caressant votre chat d'un geste mécanique. Je l'entendait ronronner de plaisir, comme un chant de paix.
Je balançais mes jambes au-dessus de ma tête, confortablement posée sur un coussin au sol, ventre contre tapis, avec l'une de mes nombreuses lectures en cours.
Tout prêt de moi, attendait sagement mon téléphone, et je chauffais ma joue au rayonnement de l'âtre.
Tout semblait en place, tout me convenait parfaitement dans notre rituel domestique.
Vous m'aviez peu habillée ce soir-là: juste un collier et des bas chaussettes de couleur noire. Mes cheveux étaient retenus en une queue de cheval lâche, qui laissait encadrer mon visage des petites boucles rebelles que vous appréciez.
Mes mules se balançaient en un équilibre précaire sur le bout de mes pieds, mais je ne cessais de battre de les jambes, comme une poupée enjouée, et heureuse.
Soudain, mon portable dégoulina de son petit son vibrant. Je sursautai et je portais mon regard au sms que je venais de recevoir:
"Cessez immédiatement votre danse, Ma!"
Je m'étonne. Je regarde le téléphone, puis je vous regarde. Vous avez manifestement reposé le vôtre, je ne l'aperçois même pas. Votre visage a le sérieux qu'il faut, le regard baissé votre lecture.
Je reprends ma lecture et mes singeries capricieuses ne tardent pas à se remettre en branle.
A nouveau mon portable, sa petite cascade liquide qui vous annonce...
"Ma..."
Je me tourne le plus vite possible, mais trop tard, vous avez déjà, et escamoté le téléphone, et dissimulé votre sourire.
Alors, dans un accès de provocation inouïe, ma danse verticale reprend et mue d'une impertinence propre, une mule vient atterrir sur votre journal.
Je vous regarde... Rien ne se passe. Je pince les lèvres, je ne dis rien, je rampe jusqu'à vos genoux, je lève une main vers la coupable.
"Vous l'aurez voulu!" me dites-vous en m'empoignant sévèrement mes cheveux, en renversant ma tête le temps de vous mettre debout et en me trainant pas la queue jusqu'à la cage.
"Vous ne pouvez donc pas rester tranquille? Je vous avais pourtant prévenue..."
Vous me jetez dans la cage aux barreaux noirs, celle dont le sol est si froid car ce n'est qu'une grande plaque de fer. Vous refermer la cage. Et retournez à votre paisible occupation.
Le chat vient me renifler de loin, puis de plus prêt. Je tends mes doigts vers son museaux, je le regarde et je lui dis tout doucement: "Oui, je suis punie. Vois-tu? Viens me réchauffer mon bébé..." Mais le chat ne le voit pas ainsi et retourne à vos côtés bien plus confortables.
Je me suis d'abord recroquevillée, genoux contre poitrine, mes bras autour. Mais le froid me prenait de plus en plus. Je tente de me frotter les épaules. Mais dans cette petite cage, rien n'est pratique. J'ai même du mal à placer mes mains sous mes fesses tant je les sens se glacer.  J'hésite... Je n'ose pas parler, vous déranger...
"M... Maître?" j'articule tout doucement... Mais comme rien ne se manifeste, je réitère: "Maitre?" un peu plus fort.
Je ne reçois aucune preuve de votre présence, ni réponse ni soupire ni bruit de pages...
"J'ai froid, Maître..."
Il ne se passe rien. J'attends, de longues minutes.
Puis: "Maître, je vais attraper froid... S'il vous plaît..."
Comme rien ne vient, je commence à me sentir seule. Vous savez ce que je ressens. Vous savez que cette cage m'abandonne à moi-même et que je ne l'aime pas. Et puis, elle me sépare de vous, de votre accès, et cela m'enferme le coeur.
Alors il se serre, mon coeur, comme si lui aussi était enfermé dans une cage trop étroite, et en se serrant, il ne connaît que les larmes. Mon coeur dit qu'il a de la peine. Mon coeur dit qu'il a mal de ne plus être auprès de vous. Mon coeur pleure l'absence de votre vue. Et c'est toujours plus fort que moi: elle roule du plus profond de moi jusqu'à mes lèvres, cette eau salée, et jaillit dans un hoquet de tristesse. La plainte est quasi-intérieure, mais son chant doit vous être doux.
Vous vous êtes levé, vous avez ouvert la cage, vous m'avez prise entre vos bras, et vous m'avez réchauffée. Et pour être sûr que je ne vous désobéirai plus pour ce soir, vous m'avez amenée contre vous sur le canapé, à la place du chat. Vous m'avez allongée contre vos cuisses, la tête posée sur vos genoux, et tout en lisant, vous avez caressé mon visage luisant d'une main... mécanique.







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